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Mais, mon Dieu, ce n’est pas à vous qu’est arrivée dans notre ville une histoire étrange, fort étrange même ?

Elle rougit ; c’était elle, en effet, qui avait été la triste héroïne de l’aventure à laquelle Stépan Trophimovitch faisait allusion.

Ces vauriens, ces malheureux !… commença-t-il d’une voix tremblante d’indignation ; cet odieux souvenir avait rouvert une plaie dans son âme. Pendant une minute il resta songeur.

« Tiens, mais elle est encore partie », fit-il à part soi en s’apercevant que Sophie Matvievna n’était plus à côté de lui. « Elle sort souvent, et quelque chose la préoccupe : je remarque qu’elle est même inquiète… Bah ! je deviens égoïste ! »

Il leva les yeux et aperçut de nouveau Anisim, mais cette fois la situation offrait l’aspect le plus critique. Toute l’izba était remplie de paysans qu’Anisim évidemment traînait à sa suite. Il y avait là le maître du logis, le propriétaire du chariot, deux autres moujiks (des cochers), et enfin un petit homme à moitié ivre qui parlait plus que personne ; ce dernier, vêtu comme un paysan, mais rasé, semblait être un bourgeois ruiné par l’ivrognerie. Et tous s’entretenaient de Stépan Trophimovitch. Le propriétaire du chariot persistait dans son dire, à savoir qu’en suivant le rivage on allongeait la route de quarante verstes et qu’il fallait absolument prendre le bateau à vapeur. Le bourgeois à moitié ivre et le maître de la maison répliquaient avec vivacité :

— Sans doute, mon ami, Sa Haute Noblesse aurait plus court à traverser le lac à bord du bateau, mais maintenant le service de la navigation est suspendu.

— Non, le bateau fera encore son service pendant huit jours ! criait Anisim plus échauffé qu’aucun autre.

— C’est possible, mais à cette saison-ci il n’arrive pas exactement, quelquefois on est obligé de l’attendre pendant trois jours à Oustiévo.

— Il viendra demain, il arrivera demain à