avec le peuple », pensait-il tout en se versant le reste de l’eau-de-vie ; il n’y en avait plus un verre, néanmoins la liqueur le réchauffa et l’entêta même un peu.
« Je suis malade tout à fait, mais ce n’est pas trop mauvais d’être malade. »
— Voulez-vous acheter ?… fit près de lui une douce voix de femme.
Levant les yeux, il aperçut avec surprise devant lui une dame — une dame, et elle en avait l’air — déjà dans la trentaine et dont l’extérieur était fort modeste. Vêtue comme à la ville, elle portait une robe de couleur foncée, et un grand mouchoir gris couvrait ses épaules. Sa physionomie avait quelque chose de très affable qui plut immédiatement à Stépan Trophimovitch. Elle venait de rentrer dans l’izba où ses affaires étaient restées sur un banc, près de la place occupée par le voyageur. Ce dernier se rappela que tout à l’heure, en pénétrant dans la chambre, il avait remarqué là, entre autres objets, un portefeuille et un sac en toile cirée. La jeune femme tira de ce sac deux petits livres élégamment reliés, avec des croix en relief sur les couvertures, et les offrit à Stépan Trophimovitch.
— Eh… mais je crois que c’est l’Évangile ; avec le plus grand plaisir… Ah ! maintenant je comprends… Vous êtes ce qu’on appelle une colporteuse de livres ; j’ai lu à différentes reprises… C’est cinquante kopeks ?
— Trente-cinq, répondit la colporteuse.
— Avec le plus grand plaisir. Je n’ai rien contre l’Évangile, et… Depuis longtemps je me proposais de le relire…
Il songea soudain que depuis trente ans au moins il n’avait pas lu l’Évangile et qu’une seule fois, sept ans auparavant, il avait eu un vague souvenir de ce livre, en lisant la Vie de Jésus de Renan. Comme il était sans monnaie, il prit dans sa poche ses quatre billets de dix roubles — tout son avoir. Naturellement, la maîtresse de la maison se chargea de les lui changer ; alors seulement il s’aperçut, en jetant un coup d’œil dans l’izba, qu’il s’y trouvait un assez grand