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— Ne désirez-vous pas un peu de vodka, monsieur ?

— Justement, justement, une larme, un tout petit rien.

— Pour cinq kopeks alors ?

— Pour cinq, pour cinq, pour cinq, pour cinq, un tout petit rien, acquiesça avec un sourire de béatitude Stépan Trophimovitch.

— Demandez à un homme du peuple de faire quelque chose pour vous : s’il le peut et le veut, il vous servira de très bonne grâce. Mais priez-le d’aller vous chercher de l’eau-de-vie, et à l’instant sa placide serviabilité accoutumée fera place à une sorte d’empressement joyeux : un parent ne montrerait pas plus de zèle pour vous être agréable. En allant chercher la vodka, il sait fort bien que c’est vous qui la boirez et non lui, — n’importe, il semble prendre sa part de votre futur plaisir. Au bout de trois ou quatre minutes (il y avait un cabaret à deux pas de la maison) le flacon demandé se trouva sur la table, ainsi qu’un grand verre à patte.

— Et c’est tout pour moi ! s’exclama d’étonnement Stépan Trophimovitch — j’ai toujours eu de l’eau-de-vie chez moi, mais j’ignorais encore qu’on pouvait en avoir tant que cela pour cinq kopeks.

Il remplit le verre, se leva et se dirigea avec une certaine solennité vers l’autre coin de la chambre, où était assise sa compagne de voyage, la femme aux noirs sourcils, dont les questions l’avaient excédé pendant la route. Confuse, la paysanne commença par refuser, mais, après ce tribut payé aux convenances, elle se leva, but l’eau-de-vie à petits coups, comme boivent les femmes, et, tandis que son visage prenait une expression de souffrance extraordinaire, elle rendit le verre en faisant une révérence à Stépan Trophimovitch. Celui-ci, à son tour, la salua gravement et retourna non sans fierté à sa place.

Il avait agi ainsi par une sorte d’inspiration subite : une seconde auparavant il ne savait pas encore lui-même qu’il allait régaler la paysanne.

« Je sais à merveille comment il faut en user