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« Mais comment cela est-il possible ? » murmurait-il non moins inquiet que surpris, pourtant il entra dans la maison. « Elle l’a voulu », se dit-il avec un déchirement de cœur, et soudain il oublia encore tout, même le lieu où il se trouvait.

C’était une cabane de paysan, claire, assez propre, et comprenant deux chambres. Elle ne méritait pas, à proprement parler, le nom d’auberge, mais les voyageurs connus des gens de la maison avaient depuis longtemps l’habitude d’y descendre. Sans penser à saluer personne, Stépan Trophimovitch alla délibérément s’asseoir dans le coin de devant, puis il s’abandonna à ses réflexions. Toutefois il ne laissa pas d’éprouver l’influence bienfaisante de la chaleur succédant à l’humidité dont il avait souffert pendant ses trois heures de voyage. Comme il arrive toujours aux hommes nerveux quand ils ont la fièvre, en passant brusquement du froid au chaud Stépan Trophimovitch sentit un léger frisson lui courir le long de l’épine dorsale, mais cette sensation même était accompagnée d’un étrange plaisir. Il leva la tête, et une délicieuse odeur chatouilla son nerf olfactif : la maîtresse du logis était en train de faire des blines. Il s’approcha d’elle avec un sourire d’enfant et se mit tout à coup à balbutier :

— Qu’est-ce que c’est ? Ce sont des blines ? Mais… c’est charmant.

— En désirez-vous, monsieur ? demanda poliment la femme.

— Oui, justement, j’en désire, et… je vous prierais aussi de me donner du thé, répondit avec empressement Stépan Trophimovitch.

— Vous voulez un samovar ? Très volontiers.

On servit les blines sur une grande assiette ornée de dessins bleus. Ces savoureuses galettes de village qu’on fait avec de la farine de froment et qu’on arrose de beurre frais furent trouvées exquises par Stépan Trophimovitch.

— Que c’est bon ! Que c’est onctueux ! Si seulement on pouvait avoir un doigt d’eau-de-vie ?