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gens… Eh bien, mais cet incendie, n’était-il pas étrange aussi ? Et de quoi parlaient-ils ? Quelles sont ces victimes ?… Je suppose que Stasie ignore encore mon départ et m’attend avec le café… En jouant aux cartes ? Est-ce que j’ai perdu des gens aux cartes ? Hum… chez nous en Russie, à l’époque du servage… Ah ! mon Dieu, et Fedka ? »

Il frémit de tout son corps et regarda autour de lui : « Si ce Fedka était caché là quelque part, derrière un buisson ? On dit qu’il est à la tête d’une bande de brigands qui infestent la grande route. Oh ! mon Dieu, alors je… alors je lui avouerai toute la vérité, je lui dirai que je suis coupable… que pendant dix ans son souvenir a déchiré mon cœur et m’a rendu plus malheureux qu’il ne l’a été au service et… et je lui donnerai mon porte-monnaie. Hum, j’ai en tout quarante roubles ; il prendra les roubles et il me tuera tout de même ! »

Dans sa frayeur il ferma, je ne sais pourquoi, son parapluie et le posa à côté de lui. Au loin sur la route se montrait un chariot venant de la ville ; Stépan Trophimovitch se mit à l’examiner avec inquiétude :

« Grâce à Dieu, c’est un chariot, et — il va au pas ; cela ne peut être dangereux. Ces rosses efflanquées d’ici… J’ai toujours parlé de la race… Non, c’était Pierre Ilitch qui en parlait au club, et je lui ai alors fait faire la remise, et puis, mais il y a quelque chose derrière et… on dirait qu’une femme se trouve dans le chariot. Une paysanne et un moujik, — cela commence à être rassurant. La femme est sur le derrière et l’homme sur le devant, — c’est très rassurant. Une vache est attachée par les cornes derrière le chariot, c’est rassurant au plus haut degré. »

À côté de lui passa le chariot, une télègue de paysan assez solidement construite et d’un aspect convenable. Un sac bourré à crever servait de siège à la femme, et l’homme était assis, les jambes pendantes, sur le rebord du véhicule, faisant face à Stépan Trophimovitch. À leur suite se traînait, en effet, une vache rousse attachée par les cornes. Le moujik et la paysanne regardèrent avec de grands yeux le voyageur