je les enverrais volontiers au diable. Fichue commission !
— Mais, dites-moi, de quoi a-t-elle donc peur ? reprit le jeune homme en baissant aussi la voix : — je n’ai même pas été reçu hier par elle ; à mon avis, elle n’a pas à être inquiète pour son mari ; au contraire, il s’est si bien montré lors de l’incendie, on peut même dire qu’il a risqué sa vie.
Pierre Stépanovitch se mit à rire.
— Eh ! il s’agit bien de cela ! Vous n’y êtes pas ! Voyez-vous, elle craint qu’on n’ait déjà écrit d’ici… Je veux parler de certains messieurs… En un mot, c’est surtout Stavroguine ; c’est-à-dire le prince K… Eh ! il y a ici toute une histoire ; en route je vous raconterai peut-être quelque chose — autant, du moins, que les lois de la chevalerie le permettent… C’est mon parent, l’enseigne Erkel, qui habite dans le district…
Le jeune homme accorda à peine un regard à Erkel, il se contenta de porter la main à son chapeau sans se découvrir ; l’enseigne s’inclina.
— Mais vous savez, Verkhovensky, huit heures à passer en wagon, c’est terrible. Nous avons là, dans notre compartiment de première, Bérestoff, un colonel fort drôle, mon voisin de campagne ; il a épousé une demoiselle Garine, et, vous savez, c’est un homme comme il faut. Il a même des idées. Il n’est resté que quarante-huit heures ici. C’est un amateur enragé du whist ; si nous organisions une petite partie, hein ? J’ai déjà trouvé le quatrième — Pripoukhloff, un marchant de T…, barbu comme il sied à un homme de sa condition. C’est un millionnaire, j’entends un vrai millionnaire… Je vous ferai faire sa connaissance, il est très intéressant, ce sac d’écus, nous rirons.
— J’aime beaucoup à jouer au whist en voyage, mais j’ai pris un billet de seconde.
— Eh ! qu’est-ce que cela fait ? Montez donc avec nous. Je vais tout de suite faire changer votre billet. Le chef du train n’a rien à me refuser. Qu’est-ce que vous avez ? Un sac ? Un plaid ?
— Allons-y gaiement !
Pierre Stépanovitch