Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/347

Cette page n’a pas encore été corrigée

lui-même n’a pas le courage de se brûler la cervelle, — donc, pour ne pas être tué par moi, il faut qu’il me tue auparavant… Et le silence qui règne toujours là ! C’est même effrayant : il ouvrira tout d’un coup la porte… Ce qu’il y a de dégoûtant, c’est qu’il croit en Dieu plus qu’un pope… Jamais de la vie il ne se suicidera !… Il y a beaucoup de ces esprits-là maintenant. Fripouille ! Ah ! diable, la bougie, la bougie ! dans un quart d’heure elle sera entièrement consumée… Il faut en finir ; coûte que coûte, il faut en finir… Eh bien, à présent je peux le tuer… Avec ce papier, on ne me soupçonnera jamais de l’avoir assassiné : je pourrai disposer convenablement le cadavre, l’étendre sur le parquet, lui mettre dans la main un revolver déchargé ; tout le monde croira qu’il s’est lui-même… Ah ! diable, comment donc le tuer ? Quand j’ouvrirai la porte, il s’élancera encore et me tirera dessus avant que j’aie pu faire usage de mon arme. Eh, diable, il me manquera, cela va s’en dire ! »

Sa situation était atroce, car il ne pouvait se résoudre à prendre un parti dont l’urgence, l’inéluctable nécessité s’imposait à son esprit. À la fin pourtant il saisit la bougie et de nouveau s’approcha de la porte, le revolver au poing. Sa main gauche se posa sur le bouton de la serrure ; cette main tenait le chandelier ; le bouton rendit un son aigre. « Il va tirer ! » pensa Pierre Stépanovitch. Il poussa la porte d’un violent coup de pied, leva la bougie et tendit son revolver devant lui ; mais ni détonation, ni cri… Il n’y avait personne dans la chambre.

Il frissonna. La pièce ne communiquait avec aucune autre, toute évasion était impossible. Il haussa davantage la bougie et regarda attentivement : personne. « Kiriloff ! » fit-il, d’abord à demi-voix, puis plus haut ; cet appel resta sans réponse.

« Est-ce qu’il se serait sauvé par la fenêtre ? »

Le fait est qu’un vasistas était ouvert. « C’est absurde, il n’a pas pu s’esquiver par là. » Il traversa toute la chambre, alla jusqu’à la fenêtre : « Non, c’est impossible. » Il se retourna