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— Attends, encore quelque chose… Tu sais, je vais signer une seconde fois, en français : « de Kiriloff, gentilhomme russe et citoyen du monde » Ha, ha, ha ! Non, non, non, attends ! poursuivit- il quand son hilarité se fut calmée, — j’ai trouvé mieux que cela, eurêka : « Gentilhomme séminariste russe et citoyen du monde civilisé ! » Voilà qui vaut mieux que tout le reste…

Puis, quittant tout à coup le divan sur lequel il était assis, il courut prendre son revolver sur la fenêtre et s’élança dans la chambre voisine où il s’enferma. Pierre Stépanovitch, les yeux fixés sur la porte de cette pièce, resta songeur pendant une minute.

« Dans l’instant présent il peut se tuer, mais s’il se met à penser, c’est fini, il ne se tuera pas. »

En attendant, il prit un siège et examina le papier. Cette lecture faite à tête reposée le confirma dans l’idée que la rédaction du document était très satisfaisante :

— « Qu’est-ce qu’il faut pour le moment ? Il faut les dérouter, les lancer sur une fausse piste. Le parc ? Il n’y en a pas dans la ville ; ils finiront par se douter qu’il s’agit du parc de Skvorechniki, mais il se passera du temps avant qu’ils arrivent à cette conclusion. Les recherches prendront aussi du temps. Voilà qu’ils découvrent le cadavre : c’est la preuve que la déclaration ne mentait pas. Mais si elle est vraie pour Chatoff, elle doit l’être aussi pour Fedka. Et qu’est-ce que Fedka ? Fedka, c’est l’incendie, c’est l’assassinat des Lébiadkine ; donc, tout est sorti d’ici, de la maison Philippoff, et ils ne s’étaient aperçus de rien, tout leur avait échappé — voilà qui va leur donner le vertige ! Ils ne penseront même pas aux nôtres ; ils ne verront que Chatoff, Kiriloff, Fedka et Lébiadkine. Et pourquoi tous ces gens là se sont-ils tués les uns les autres ? — encore une petite question que je leur dédie. Eh ! diable, mais on n’entend pas de détonation !… »

Tout en lisant, tout en admirant la beauté de son travail littéraire, il ne cessait d’écouter, en proie à des transes cruelles, et