Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/343

Cette page n’a pas encore été corrigée

« Je soussigné, Alexis Kiriloff, déclare… »

— Attends ! Je ne veux pas ! À qui est-ce que je déclare ?

Une sorte de frisson fiévreux agitait les membres de Kiriloff. Il était absorbé tout entier par cette déclaration et par une idée subite qui, au moment de l’écrire, venait de s’offrir à lui : c’était comme une issue vers laquelle s’élançait, pour un instant du moins, son esprit harassé.

— À qui est-ce que je déclare ? Je veux savoir à qui !

— À personne, à tout le monde, au premier qui lira cela. À quoi bon préciser ? À l’univers entier !

—À l’univers entier ? Bravo ! Et qu’il n’y ait pas de repentir. Je ne veux pas faire amende honorable ; je ne veux pas m’adresser à l’autorité !

— Mais non, non, il ne s’agit pas de cela, au diable l’autorité ! Eh bien, écrivez donc, si votre résolution est sérieuse !… répliqua vivement Pierre Stépanovitch impatienté.

— Arrête ! Je veux dessiner d’abord une tête qui leur tire la langue.

— Eh ! quelle niaiserie ! Pas besoin de dessin, on peut exprimer tout cela rien que par le ton.

— Par le ton ? C’est bien. Oui, par le ton, par le ton ! Dicte par le ton !

« Je soussigné, Alexis Kiriloff, — commença d’une voix ferme et impérieuse Pierre Stépanovitch ; en même temps, penché sur l’épaule de l’ingénieur, il suivait des yeux chaque lettre que celui-ci traçait d’une main frémissante, — je soussigné, Alexis Kiriloff, déclare qu’aujourd’hui, — octobre, entre sept et huit heures du soir, j’ai assassiné dans le parc l’étudiant Chatoff comme traître et auteur d’une dénonciation au sujet des proclamations et de Fedka, lequel a logé pendant dix jours chez nous, dans la maison Philippoff. Moi-même aujourd’hui je me brûle la cervelle, non que je me repente ou que j’aie peur de vous, mais parce que, déjà à l’étranger, j’avais formé le dessein de mettre fin à mes jours. »