tuerai absolument, pour commencer et prouver. Je ne suis encore dieu que par force et je suis malheureux, car je suis obligé d’affirmer ma liberté. Tous sont malheureux parce que tous ont peur d’affirmer leur liberté. Si l’homme jusqu’à présent a été si malheureux et si pauvre, c’est parce qu’il n’osait pas se montrer libre dans la plus haute acception du mot, et qu’il se contentait d’une insubordination d’écolier. Je suis terriblement malheureux, car j’ai terriblement peur. La crainte est la malédiction de l’homme… Mais je manifesterai mon indépendance, je suis tenu de croire que je ne crois pas. Je commencerai, je finirai, et j’ouvrirai la porte. Et je sauverai. Cela seul sauvera tous les hommes et transformera physiquement la génération suivante ; car, autant que j’en puis juger, sous sa forme physique actuelle il est impossible à l’homme de se passer de l’ancien dieu. J’ai cherché pendant trois ans l’attribut de ma divinité et je l’ai trouvé : l’attribut de ma divinité, c’est l’indépendance ! C’est tout ce par quoi je puis montrer au plus haut degré mon insubordination, ma nouvelle et terrible liberté. Car elle est terrible. Je me tuerai pour affirmer mon insubordination, ma nouvelle et terrible liberté.
Son visage était d’une pâleur étrange, et son regard avait une fixité impossible à supporter. Il semblait être dans un accès de fièvre chaude. Pierre Stépanovitch crut qu’il allait s’abattre sur le parquet.
Dans cet état d’exaltation, Kiriloff prit soudain la résolution la plus inattendue.
— Donne une plume ! cria-t-il ; — dicte, je signerai tout. J’écrirai même que j’ai tué Chatoff. Dicte pendant que cela m’amuse. Je ne crains pas les pensées d’esclaves arrogants ! Tu verras toi-même que tout le mystère se découvrira ! Et tu seras écrasé… Je crois ! Je crois !
Pierre Stépanovitch, qui tremblait pour le succès de son entreprise, saisit l’occasion aux cheveux ; quittant aussitôt sa place, il alla chercher de l’encre et du papier, puis se mit à dicter :