trois croix se sont dressées au milieu de la terre. L’un des crucifiés avait une telle foi qu’il dit à l’autre : « Tu seras aujourd’hui avec moi dans le paradis. » La journée finit, tous deux moururent, et ils ne trouvèrent ni paradis, ni résurrection. La prophétie ne se réalisa pas. Écoute : cet homme était le plus grand de toute la terre, elle lui doit ce qui la fait vivre. La planète tout entière, avec tout ce qui la couvre, — sans cet homme, — n’est que folie. Ni avant, ni après lui, son pareil ne s’est jamais rencontré, et cela même tient du prodige. Oui, c’est un miracle que l’existence unique de cet homme dans la suite des siècles. S’il en est ainsi, si les lois de la nature n’ont même pas épargné Celui-là, si elles n’ont pas même eu pitié de leur chef- d’œuvre, mais l’ont fait vivre lui aussi au milieu du mensonge et mourir pour un mensonge, c’est donc que la planète est un mensonge et repose sur un mensonge, sur une sotte dérision. Par conséquent les lois de la nature sont elles-mêmes une imposture et une farce diabolique. Pourquoi donc vivre, réponds, si tu es un homme ?
— C’est un autre point de vue. Il me semble que vous confondez ici deux causes différentes, et c’est très fâcheux. Mais permettez, eh bien, mais si vous êtes dieu ? Si vous êtes détrompé, vous avez compris que toute l’erreur est dans la croyance à l’ancien dieu.
— Enfin tu as compris ! s’écria Kiriloff enthousiasmé. — On peut donc comprendre, si même un homme comme toi a compris ! Tu comprends maintenant que le salut pour l’humanité consiste à lui prouver cette pensée. Qui la prouvera ? Moi ! Je ne comprends pas comment jusqu’à présent l’athée a pu savoir qu’il n’y a point de Dieu et ne pas se tuer tout de suite ! Sentir que Dieu n’existe pas, et ne pas sentir du même coup qu’on est soi-même devenu dieu, c’est une absurdité, autrement on ne manquerait pas de se tuer. Si tu sens cela, tu es un tzar, et, loin de te tuer, tu vivras au comble de la gloire. Mais celui-là seul, qui est le premier, doit absolument se tuer ; sans cela, qui donc commencera et le prouvera ? C’est moi qui me