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fourrée dans la tête, vous aviez déjà formé ce projet avant d’entrer en rapport avec moi et, quand vous en avez parlé pour la première fois, ce n’est pas à moi, mais à nos coreligionnaires politiques réfugiés à l’étranger. Remarquez en outre qu’aucun d’eux n’a rien fait pour provoquer de votre part une semblable confidence ; aucun d’eux même ne vous connaissait. C’est vous-même qui, de votre propre mouvement, êtes allé leur faire part de la chose. Eh bien, que faire, si, prenant en considération votre offre spontanée, on a alors fondé là-dessus, avec votre consentement, — notez ce point ! — un certain plan d’action qu’il n’y a plus moyen maintenant de modifier ? La position que vous avez prise vis-à-vis de nous vous a mis en mesure d’apprendre beaucoup de nos secrets. Si vous vous dédisez, et que demain vous alliez nous dénoncer, il nous en cuira, qu’en pensez-vous ? Non, vous vous êtes engagé, vous avez donné votre parole, vous avez reçu de l’argent. Il vous est impossible de nier cela…

Pierre Stépanovitch parlait avec beaucoup de véhémence, mais depuis longtemps déjà Kiriloff ne l’écoutait plus. Il était devenu rêveur et marchait à grands pas dans la chambre.

— Je plains Chatoff, dit-il en s’arrêtant de nouveau en face de Pierre Stépanovitch.

— Eh bien, moi aussi, je le plains, est-il possible que…

— Tais-toi, infâme ! hurla l’ingénieur avec un geste dont la terrible signification n’était pas douteuse, — je vais te tuer !

Pierre Stépanovitch recula par un mouvement brusque en même temps qu’il avançait le bras pour se protéger.

— Allons, allons, j’ai menti, j’en conviens, je ne le plains pas du tout ; allons, assez donc, assez !

Kiriloff se calma soudain et reprit sa promenade dans la chambre.

— Je ne remettrai pas à plus tard ; c’est maintenant même que je veux me donner la mort : tous les hommes sont des coquins !

— Eh bien ! voilà, c’est une idée : sans doute tous les