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a détente.

Là-dessus, il se rassit assez tranquillement et, d’une main un peu tremblante, il est vrai, se versa du thé. Kiriloff, après avoir déposé son revolver sur la table, commença à se promener de long en large.

— Je n’écrirai pas que j’ai tué Chatoff, et… à présent je n’écrirai rien. Il n’y aura pas de papier !

— Il n’y en aura pas ?

— Non !

— Quelle lâcheté et quelle bêtise ! s’écria Pierre Stépanovitch blême de colère. — D’ailleurs, je le pressentais. Sachez que vous ne me surprenez pas. Comme vous voudrez, pourtant. Si je pouvais employer la force, je l’emploierais. Mais vous êtes un drôle, poursuivit-il avec une fureur croissante. — Jadis, vous nous avez demandé de l’argent, vous nous avez fait toutes sortes de promesses… seulement, je ne m’en irai pas d’ici sans avoir obtenu un résultat quelconque, je verrai du moins comment vous vous ferez sauter la cervelle.

— Je veux que tu sortes tout de suite, dit Kiriloff allant se placer résolument vis-à-vis du visiteur.

— Non, je ne sortirai pas, répondit ce dernier qui saisit de nouveau son revolver, — maintenant peut-être, par colère et par poltronnerie, vous voulez différer l’accomplissement de votre projet, et demain vous irez nous dénoncer pour vous procurer encore un peu d’argent, car cette délation vous sera payée. Le diable m’emporte, les petites gens comme vous sont capables de tout ! Seulement, soyez tranquille, j’ai tout prévu : si vous canez, si vous n’exécutez pas immédiatement votre résolution, je ne m’en irai pas d’ici sans vous avoir troué le crâne avec ce revolver, comme je l’ai fait au misérable Chatoff, que le diable vous écorche !

— Tu veux donc à toute force voir aussi mon sang ?

— Ce n’est pas par haine, comprenez-le bien ; personnellement, je n’y tiens pas. Je veux seulement sauvegarder notre œuvre. On ne peut pas compter sur l’homme, vous le voyez vous-même. Votre idée de vous donner la mort est une fantaisie à laquelle je ne comprends rien. Ce n’est pas moi qui vous l’ai