Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/333

Cette page n’a pas encore été corrigée

montrer, mais il ne l’y remit plus et continua à la tenir dans sa main droite). Vous êtes étrange pourtant, Kiriloff, vous saviez bien vous-même qu’il fallait en finir ainsi avec cet homme stupide. Qu’y avait-il donc à prévoir là ? Je vous ai plus d’une fois mis les points sur les i. Chatoff se préparait à dénoncer, j’avais l’œil sur lui, on ne pouvait pas le laisser faire. Vous étiez aussi chargé de le surveiller, vous me l’avez dit vous-même, il y a trois semaines…

— Tais-toi ! Tu l’as assassiné, parce qu’à Genève il t’a craché au visage !

— Et pour cela, et pour autre chose encore. Pour bien autre chose ; du reste, sans aucune animosité. Pourquoi donc sauter en l’air ? Pourquoi ces grimaces ? O-oh ! Ainsi, voilà comme nous sommes !…

Il se leva brusquement et se couvrit avec son revolver. Le fait est que Kiriloff avait tout à coup saisi le sien chargé depuis le matin et posé sur l’appui de la fenêtre. Pierre Stépanovitch se mit en position et braqua son arme sur Kiriloff. Celui-ci eut un sourire haineux.

— Avoue, lâche, que tu as pris ton revolver parce que tu croyais que j’allais te brûler la cervelle… Mais je ne te tuerai pas… quoique… quoique…

Et de nouveau il fit mine de coucher en joue Pierre Stépanovitch ; se figurer qu’il allait tirer sur son ennemi était un plaisir auquel il semblait n’avoir pas la force de renoncer. Toujours en position, Pierre Stépanovitch attendit jusqu’au dernier moment, sans presser la détente de son revolver, malgré le risque qu’il courait de recevoir lui-même auparavant une balle dans le front : de la part d’un « maniaque » on pouvait tout craindre. Mais à la fin le « maniaque » haletant, tremblant, hors d’état de proférer une parole, laissa retomber son bras.

À son tour, Pierre Stépanovitch abaissa son arme.

— Vous vous êtes un peu amusé, en voilà assez, dit-il. — Je savais bien que c’était un jeu ; seulement, il n’était pas sans danger pour vous : j’aurais pu presser l