Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/328

Cette page n’a pas encore été corrigée

se repentait, qu’il demandait pardon et ne se rappelait même pas ce qu’il avait fait. Pierre Stépanovitch s’en alla seul et fit un détour qui allongeait de beaucoup sa route. À mi-chemin de la ville, il ne fut pas peu surpris de se voir rejoint par Lipoutine.

— Pierre Stépanovitch, mais Liamchine dénoncera !

— Non, il réfléchira et il comprendra qu’en dénonçant il se ferait envoyer le tout premier en Sibérie. Maintenant personne ne dénoncera, pas même vous.

— Et vous ?

— Bien entendu, je vous ferai coffrer tous, pour peu que vous vous avisiez de trahir, et vous le savez. Mais vous ne trahirez pas. C’est pour me dire cela que vous avez fait deux verstes à ma poursuite ?

— Pierre Stépanovitch, Pierre Stépanovitch, nous ne nous reverrons peut-être jamais !

— Où avez-vous pris cela ?

— Dites-moi seulement une chose.

— Eh bien, quoi ? Du reste, je désire que vous décampiez.

— Une seule réponse, mais véridique : sommes-nous le seul quinquévirat en Russie, ou y en a-t-il réellement plusieurs centaines ? J’attache à cette question la plus haute importance, Pierre Stépanovitch.

— Votre agitation me le prouve. Savez-vous, Lipoutine, que vous êtes plus dangereux que Liamchine ?

— Je le sais, je le sais, mais — une réponse, votre réponse !

— Vous êtes un homme stupide ! Voyons, qu’il n’y ait qu’un quinquévirat ou qu’il y en ait mille, ce devrait être pour vous la même chose à présent, me semble-t-il.

— Alors il n’y en a qu’un ! Je m’en doutais ! s’écria Lipoutine. — J’avais toujours pensé qu’en effet nous étions le seul…

Sans attendre une autre réponse, il rebroussa chemin et se perdit bientôt dans l’obscurité.

Pierre Stépanovitch resta un moment pensif.