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génération présente pour la rendre digne de la liberté. Les Chatoff se comptent encore par milliers. Nous nous organisons pour prendre en main la direction des esprits : ce qui est vacant, ce qui s’offre de soi-même à nous, il serait honteux de ne pas le saisir. Je vais de ce pas chez Kiriloff ; demain matin on trouvera sur sa table la déclaration qu’il doit écrire avant de se tuer et par laquelle il prendra tout sur lui. Cette combinaison a pour elle toutes les vraisemblances. D’abord, il était mal avec Chatoff ; ils ont vécu ensemble en Amérique, par suite ils ont eu le temps de se brouiller. En second lieu, on sait que Chatoff a changé d’opinion : on trouvera donc tout naturel que Kiriloff ait assassiné un homme qu’il devait détester comme renégat, et par qui il pouvait craindre d’être dénoncé. D’ailleurs tout cela sera indiqué dans la lettre ; enfin elle révèlera aussi que Fedka a logé dans l’appartement de Kiriloff. Ainsi voilà qui écartera de vous jusqu’au moindre soupçon, car toutes ces têtes de mouton seront complètement déroutées. Demain, messieurs, nous ne nous verrons pas ; je dois faire un voyage — très court, du reste, — dans le district. Mais après demain vous aurez de mes nouvelles. Je vous conseillerais de passer la journée de demain chez vous. À présent nous allons retourner à la ville en suivant des routes différentes. Je vous prie, Tolkatchenko, de vous occuper de Liamchine et de le ramener à son logis. Vous pouvez agir sur lui et surtout lui remontrer qu’il sera la première victime de sa pusillanimité. Monsieur Virguinsky, je ne veux pas plus douter de votre parent Chigaleff que de vous-même : il ne dénoncera pas. On doit assurément déplorer sa conduite ; mais, comme il n’a pas encore manifesté l’intention de quitter la société, il est trop tôt pour l’enterrer. Allons, du leste, messieurs ; quoique nous ayons affaire à des têtes de mouton, la prudence ne nuit jamais…

Virguinsky partit avec Erkel. L’enseigne, après avoir remis Liamchine entre les mains de Tolkatchenko, déclara à Pierre Stépanovitch que l’insensé avait repris ses esprits, qu’il