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étang. Un bruit sourd et prolongé se fit entendre. Pierre Stépanovitch reprit sa lanterne ; tous s’avancèrent curieusement, mais le corps, entraîné par les deux pierres, avait déjà disparu au fond de l’eau, et ils ne virent rien. L’affaire était terminée.

— Messieurs, dit Pierre Stépanovitch, — nous allons maintenant nous séparer. Sans doute, vous devez sentir cette libre fierté qui est inséparable de l’accomplissement d’un libre devoir. Si, par malheur, vous êtes trop agités en ce moment pour éprouver un sentiment semblable, à coup sûr vous l’éprouverez demain : il serait honteux qu’il en fût autrement. Je veux bien considérer l’indigne effarement de Liamchine comme un cas de fièvre chaude, d’autant plus qu’il est, dit-on, réellement malade depuis ce matin. Pour vous, Virguinsky, une minute seulement de libre réflexion vous montrera qu’on ne pouvait, sans compromettre l’oeuvre commune, se contenter d’une parole d’honneur, et que nous avons fait précisément ce qu’il fallait faire. Vous verrez par la suite que la dénonciation existait. Je consens à oublier vos exclamations. Quant au danger, il n’y en a pas à prévoir. L’idée de soupçonner quelqu’un d’entre nous ne viendra à personne, surtout si vous-mêmes savez vous conduire ; le principal dépend donc de vous et de la pleine conviction dans laquelle, je l’espère, vous vous affermirez dès demain. Si vous vous êtes réunis en groupe, c’est, entre autres choses, pour vous infuser réciproquement de l’énergie à un moment donné et, au besoin, pour vous surveiller les uns les autres. Chacun de vous a une lourde responsabilité. Vous êtes appelés à reconstruire sur de nouveaux fondements un édifice décrépit et vermoulu ; ayez toujours cela sous les yeux pour stimuler votre vaillance. Actuellement votre action ne doit tendre qu’à tout détruire : et l’État et sa moralité. Nous resterons seuls, nous qui nous serons préparés d’avance à prendre le pouvoir : nous nous adjoindrons les hommes intelligents et nous passerons sur le ventre des imbéciles. Cela ne doit pas vous déconcerter. Il faut refaire l’éducation de la