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Mais lorsque les pierres eurent été attachées et que Verkhovensky se fut relevé, Virguinsky se mit soudain à trembler de tous ses membres. Il frappa ses mains l’une contre l’autre et d’une voix retentissante s’écria douloureusement :

— Ce n’est pas cela, pas cela ! Non, ce n’est pas cela du tout !

Il aurait peut-être ajouté quelque chose à cette exclamation si tardive, mais Liamchine ne lui en laissa pas le temps : le Juif, qui se trouvait derrière lui, le prit soudain à bras-le-corps, et, le serrant de toutes ses forces, commença à proférer des cris véritablement inouïs. Il y a des moments de grande frayeur, par exemple, quand on entend tout à coup un homme crier d’une voix qui n’est pas la sienne et qu’on n’aurait jamais pu lui soupçonner auparavant. La voix de Liamchine n’avait rien d’humain et semblait appartenir à une bête fauve. Tandis qu’il étreignait Virguinsky de plus en plus fort, il ne cessait de trembler, regardant tout le monde avec de grands yeux, ouvrant démesurément la bouche et trépignant des pieds. Virguinsky fut tellement épouvanté que lui- même se mit à crier comme un insensé ; en même temps, avec une colère qu’on n’aurait pas attendue d’un homme aussi doux, il s’efforçait de se dégager en frappant et en égratignant Liamchine autant qu’il pouvait le faire, ce dernier se trouvant derrière lui. Erkel vint à son aide et donna au Juif une forte secousse qui l’obligea à lâcher prise ; dans son effroi Virguinsky courut se réfugier dix pas plus loin. Mais alors Liamchine aperçut tout à coup Verkhovensky et s’élança vers lui en criant de nouveau. Son pied s’étant heurté contre le cadavre, il tomba sur Pierre Stépanovitch, le saisit dans ses bras, et lui appuya sa tête sur la poitrine avec une force contre laquelle, dans le premier moment, ni Pierre Stépanovitch, ni Tolkatchenko, ni Lipoutine ne purent rien. Le premier poussait des cris, vomissait des injures et accablait de coups de poing la tête obstinément appuyée contre sa poitrine ; ayant enfin réussi à se dégager quelque peu, il prit son revolver et le braqua sur la bouche toujours ouverte de