— Et moi, fit Virguinsky s’échauffant tout à coup, — je proteste… je proteste de toutes mes forces… Je veux… Voici ce que je veux : quand il arrivera, je veux que nous allions tous au-devant de lui et que nous l’interrogions : si c’est vrai, on l’en fera repentir, et s’il donne sa parole d’honneur, on le laissera aller. En tout cas, qu’on le juge, qu’on observe les formes juridiques. Il ne faut pas de guet-apens.
— Risquer l’œuvre commune sur une parole d’honneur, c’est le comble de la bêtise ! Le diable m’emporte, que c’est bête, messieurs, à présent ! Et quel rôle vous assumez au moment du danger !
— Je proteste, je proteste, ne cessait de répéter Virguinsky.
— Du moins, ne criez pas, nous n’entendrons pas le signal. Chatoff, messieurs… (Le diable m’emporte, comme c’est bête à présent !) Je vous ai déjà dit que Chatoff est un slavophile, c’est-à-dire un des hommes les plus bêtes… Du reste, cela ne signifie rien, vous êtes cause que je perds le fil de mes idées !… Chatoff, messieurs, était un homme aigri, et comme, après tout, il appartenait à la société, j’ai voulu jusqu’à la dernière minute espérer qu’on pourrait utiliser ses ressentiments dans l’intérêt de l’œuvre commune. Je l’ai épargné, je lui ai fait grâce, nonobstant les instructions les plus formelles… J’ai eu pour lui cent fois plus d’indulgence qu’il n’en méritait ! Mais il a fini par dénoncer, eh bien, tant pis pour lui !… Et maintenant essayez un peu de lâcher ! Pas un de vous n’a le droit d’abandonner l’œuvre ! Vous pouvez embrasser Chatoff, si vous voulez, mais vous n’avez pas le droit de livrer l’œuvre commune à la merci d’une parole d’honneur ! Ce sont les cochons et les gens vendus au gouvernement qui agissent de la sorte !
— Qui donc ici est vendu au gouvernement ? demanda Lipoutine.
— Vous peut-être. Vous feriez mieux de vous taire, Lipoutine, vous ne parlez que pour parler, selon votre habitude. J’appelle vendus, messieurs, tous ceux qui canent à l’heure du danger. Il se trouve toujours au derni