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L’obscurité était venue quand Chatoff s’éveilla. Il se hâta d’allumer une bougie et courut chercher la vieille ; mais il s’était à peine mis en devoir de descendre l’escalier qu’il entendit, non sans stupeur, quelqu’un gravir les marches d’un pas léger et tranquille. Le visiteur était Erkel.

— N’entrez pas ! dit Chatoff à voix basse, et, prenant vivement le jeune homme par le bras, il lui fit rebrousser chemin jusqu’à la grand’porte. — Attendez ici, je vais sortir tout de suite, je vous avais complètement oublié ! Oh ! comme vous savez vous rappeler à l’attention !

Il était si pressé qu’il ne passa même pas chez Kiriloff et se contenta d’appeler la vieille. Marie fut au désespoir, s’indigna : comment pouvait-il seulement avoir l’idée de la quitter ?

— Mais c’est pour en finir ! criait-il avec exaltation ; — après cela nous entrerons dans une nouvelle voie, et plus jamais, plus jamais nous ne songerons aux horreurs d’autrefois !

Tant bien que mal il parvint à lui faire entendre raison, promettant d’être de retour à neuf heures précises ; il l’embrassa tendrement, il embrassa le baby et courut retrouver Erkel.

Tous deux devaient se rendre dans le parc des Stavroguine à Skvorechniki, où, dix-huit mois auparavant, Chatoff avait enterré la presse remise entre ses mains. Situé assez loin de l’habitation, le lieu était sauvage, solitaire et des mieux choisis pour servir de cachette. De la maison Philippoff à cet endroit on pouvait compter trois verstes et demie, peut-être même quatre.

— Est-il possible que nous fassions toute la route à pied ? Je vais prendre une voiture.

— N’en faites rien, je vous prie, répondit Erkel, — ils ont formellement insisté là-dessus. Un cocher est un témoin.

— Allons… diable ! Peu importe, le tout est d’en finir !

Ils se mirent en marche d’un pas rapide.

— Erkel, vous êtes encore tout jeune ! cria Chatoff : — avez-vous jamais été heureux ?

— Vous, il paraît qu’à présent vous l’êtes fort, observa l’enseigne intrigué.