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— Baissez-vous vers moi, dit-elle soudain à son mari en faisant tous ses efforts pour ne pas le regarder.

Il eut un frisson, néanmoins il se pencha vers elle.

— Encore… pas comme cela, plus près…

Elle passa brusquement son bras gauche autour du cou de Chatoff, et il sentit sur son front le baiser brûlant de la jeune femme.

— Marie !

Elle avait les lèvres tremblantes et se roidissait contre elle- même, mais tout à coup elle se souleva un peu, ses yeux étincelèrent :

— Nicolas Stavroguine est un misérable ! s’écria-t-elle.

Puis elle retomba sans force sur le lit, cacha son visage dans l’oreiller et se mit à sangloter, tout en tenant la main de Chatoff étroitement serrée dans la sienne.

À partir de ce moment elle ne le laissa plus s’éloigner, elle voulut qu’il restât assis à son chevet. Elle ne pouvait pas parler beaucoup, mais elle ne cessait de le contempler avec un sourire de bienheureuse. Il semblait qu’elle fût devenue une petite sotte. C’était, pour ainsi dire, une renaissance complète. Quant à Chatoff, tantôt il pleurait comme un petit enfant, tantôt il disait Dieu sait quelles extravagances en baisant les mains de Marie. Elle écoutait avec ivresse, peut-être sans comprendre, tandis que ses doigts alanguis lissaient et caressaient amoureusement les cheveux de son époux. Il parlait de Kiriloff, de la vie nouvelle qui allait maintenant commencer pour eux, de l’existence de Dieu, de la bonté de tous les hommes… Ensuite, d’un œil ravi, ils se remirent à considérer le baby.

— Marie ! cria Chatoff, qui tenait l’enfant dans ses bras, — nous en avons fini, n’est-ce pas, avec l’ancienne démence, avec l’infamie et la charogne ? Laisse-moi faire, et nous entrerons à trois dans une nouvelle route, oui, oui !… Ah ! mais comment donc l’appellerons-nous, Marie ?

— Lui ? Comment nous l’appellerons ? fit-elle avec étonnement,