— Oh ! comme il le regarde ! fit-elle avec un rire gai en considérant le visage de Chatoff ; — voyez donc cette tête !
— Égayez-vous, Arina Prokhorovna… C’est une grande joie… balbutia-t-il d’un air de béatitude idiote ; il était radieux depuis les quelques mots prononcés par Marie au sujet de l’enfant.
— Quelle si grande joie y a-t-il là pour vous ? répliqua en riant Arina Prokhorovna, qui n’épargnait pas sa peine et travaillait comme une esclave.
— Le secret de l’apparition d’un nouvel être, un grand, un inexplicable mystère, Arina Prokhorovna, et quel dommage que vous ne compreniez pas cela !
Dans son exaltation Chatoff bégayait des paroles confuses qui semblaient jaillir de son âme en dépit de lui-même ; on aurait dit que quelque chose était détraqué dans son cerveau.
— Il y avait deux êtres humains, et en voici tout à coup un troisième, un nouvel esprit, entier, achevé, comme ne le sont pas les œuvres sortant des mains de l’homme ; une nouvelle pensée et un nouvel amour, c’est même effrayant… Et il n’y a rien au monde qui soit au-dessus de cela !
La sage-femme partit d’un franc éclat de rire.
— Eh ! qu’est-ce qu’il jabote ! C’est tout simplement le développement ultérieur de l’organisme, et il n’y a là rien de mystérieux. Alors n’importe quelle mouche serait un mystère. Mais voici une chose : les gens qui sont de trop ne devraient pas venir au monde. Commencez par vous arranger de façon qu’ils ne soient pas de trop, et ensuite engendrez-les. Autrement, qu’arrive-t-il ? Celui-ci, par exemple, après-demain on devra l’envoyer dans un asile… Du reste, il faut cela aussi.
— Je ne souffrirai jamais qu’il soit envoyé dans un asile ! dit d’un ton ferme Chatoff qui regardait fixement le plancher.
— Vous l’adopterez ?
— Il est déjà mon fils.
— Sans doute c’est un Chatoff ; aux yeux de la loi vous êtes son père, et vous n’avez pas lieu de vous poser en bienfaiteur