son métier. L’aurore commençait à poindre. Arina Prokhorovna imagina tout à coup que Chatoff était allé prier Dieu sur le palier, et elle se mit à rire. La malade rit aussi, d’un rire méchant, amer, qui paraissait la soulager. À la fin, le mari fut expulsé pour tout de bon. La matinée était humide et froide. Debout sur le carré, le visage tourné contre le mur, Chatoff se trouvait exactement dans la même position que la veille, au moment de la visite d’Erkel. Il tremblait comme une feuille et n’osait penser ; des rêves incohérents, aussi vite interrompus qu’ébauchés, occupaient son esprit. De la chambre arrivèrent enfin jusqu’à lui non plus des gémissements, mais des hurlements affreux, inexprimables, impossibles. En vain il voulut se boucher les oreilles, il ne put que tomber à genoux en répétant sans savoir ce qu’il disait : « Marie, Marie ! » Et voilà que soudain retentit un cri nouveau, faible, inarticulé, — un vagissement. Chatoff frissonnant se releva d’un bond, fit le signe de la croix et s’élança dans la chambre. Entre les bras d’Arina Prokhorovna s’agitait un nouveau- né, un petit être rouge, ridé, sans défense, à la merci du moindre souffle, mais qui criait comme pour attester son droit à la vie… Étendue sur le lit, Marie semblait privée de sentiment ; toutefois, au bout d’une minute, elle ouvrit les yeux et regarda son mari d’une façon étrange : jusqu’alors, jamais il ne lui avait vu ce regard, et il ne pouvait le comprendre.
— Un garçon ? Un garçon ? demanda-t-elle d’une voix brisée à l’accoucheuse.
— Oui, répondit celle-ci en train d’emmailloter le baby.
Pendant un instant elle le donna à tenir à Chatoff, tandis qu’elle se disposait à le mettre sur le lit, entre deux oreillers. La malade fit à son mari un petit signe à la dérobée, comme si elle eût craint d’être vue par Arina Prokhorovna. Il comprit tout de suite et vint lui montrer l’enfant.
La mère sourit.
— Qu’il est… joli… murmura-t-elle faiblement.
Madame Virguinsky était triomphante.