Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/299

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Donnez-moi tout de suite quinze roubles. Si vous refusez, je cognerai et je crierai jusqu’à l’aurore ; je briserai votre châssis.

— J’appellerai la garde, et l’on vous conduira au poste.

— Et moi, je suis un muet, vous croyez ? Je n’appellerai pas la garde ? Lequel de nous deux doit la craindre, vous ou moi ?

— Et vous pouvez avoir des principes si bas… Je sais à quoi vous faites allusion… Attendez, attendez, pour l’amour de Dieu, tenez-vous tranquille ! Voyons, qui est-ce qui a de l’argent la nuit ? Eh bien, pourquoi vous faut-il de l’argent, si vous n’êtes pas ivre ?

— Ma femme est revenue chez moi. Je vous fais un rabais de dix roubles ; je ne me suis pas servi une seule fois de ce revolver, reprenez-le tout de suite.

Machinalement Liamchine tendit la main par le vasistas et prit l’arme ; il attendit un moment, puis soudain, comme ne se connaissant plus, il passa sa tête en dehors de la fenêtre et balbutia, tandis qu’un frisson lui parcourait l’épine dorsale :

— Vous mentez, votre femme n’est pas du tout revenue chez vous. C’est… c’est-à-dire que vous voulez tout bonnement vous sauver.

— Imbécile que vous êtes, où voulez-vous que je me sauve ? C’est bon pour votre Pierre Stépanovitch de prendre la fuite ; moi, je ne fais pas cela. J’ai été tout à l’heure trouver madame Virguinsky, la sage-femme, et elle a immédiatement consenti à venir chez moi. Vous pouvez vous informer. Ma femme est dans les douleurs, il me faut de l’argent ; donnez-moi de l’argent !

Il se produisit comme une illumination subite dans l’esprit de Liamchine ; les choses prenaient soudain une autre tournure, toutefois sa crainte était encore trop vive pour lui permettre de raisonner.

— Mais comment donc… vous ne vivez pas avec votre femme ?