convaincre qu’au moment voulu l’ingénieur endosserait l’ »affaire Chatoff », il n’avait cependant pas soufflé mot de ce dernier dans sa conversation avec Kiriloff. Jugeant sans doute imprudent de révéler ses desseins à un homme dont il n’était pas sûr, il avait cru plus sage de ne les lui faire connaître qu’après leur mise à exécution, c’est-à-dire le lendemain : quand ce sera chose faite, pensait Pierre Stépanovitch, Kiriloff prendra cela avec son indifférence accoutumée. Lipoutine avait fort bien remarqué le silence gardé par son compagnon sur l’objet même qui motivait leur visite chez l’ingénieur, mais il était trop troublé pour faire aucune observation à ce sujet.
Chatoff courut tout d’une haleine rue de la Fourmi ; il maudissait la distance, et il lui semblait qu’il n’arriverait jamais.
Il dut cogner longtemps chez Virguinsky : tout le monde dans la maison était couché depuis quelques heures. Mais Chatoff n’y alla pas de main morte et frappa à coups redoublés contre le volet. Le chien de garde enchaîné dans la cour fit entendre de furieux aboiements auxquels répondirent ceux de tous les chiens du voisinage ; ce fut un vacarme dans toute la rue.
À la fin le volet s’entr’ouvrit, puis la fenêtre, et Virguinsky lui-même prit la parole :
— Pourquoi faites-vous ce bruit ? Que voulez-vous ? demanda-t-il doucement à l’inconnu qui troublait le repos de sa maison.
— Qui est-là ? Quel est ce drôle ? ajouta avec colère une voix féminine.
La personne qui venait de prononcer ces mots était la vieille demoiselle, parente de Virguinsky.
— C’est moi, Chatoff ; ma femme est revenue chez moi, et elle va accoucher d’un moment à l’autre.
— Eh bien, qu’elle accouche ! Fichez le camp !
— Je suis venu chercher Arina Prokhorovna, et je ne m’en irai pas sans elle !
— Elle ne peut pas aller chez tout le monde. Elle ne visite la