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assister une femme en couches, mais ce n’est pas cela que je vous demande, je vous prie seulement d’envoyer chez moi une bonne vieille, une garde-malade, une servante.

— Vous aurez une vieille, mais ce ne sera peut-être pas tout de suite. Si vous voulez, je puis, en attendant…

— Oh ! c’est impossible ; je vais de ce pas chez madame Virguinsky, l’accoucheuse.

— Une coquine !

— Oh ! oui, Kiriloff, mais c’est la meilleure sage-femme de la ville ! Oh ! oui, tout cela se passera sans joie, sans piété ; ce grand mystère, la venue au monde d’une créature nouvelle, ne sera saluée que par des paroles de dégoût et de colère, par des blasphèmes !… Oh ! elle maudit déjà son enfant !…

— Si vous voulez, je…

— Non, non, mais en mon absence (oh ! de gré ou de force je ramènerai madame Virguinsky !), venez de temps en temps près de mon escalier et prêtez l’oreille sans faire de bruit, seulement ne pénétrez pas dans la chambre, vous l’effrayeriez, gardez-vous bien d’entrer, bornez-vous à écouter… dans le cas où il arriverait un accident. Pourtant, s’il survenait quelque chose de grave, alors vous entreriez.

— Je comprends. J’ai encore un rouble d’argent. Tenez. Je voulais demain une poule, mais maintenant je ne veux plus. Allez vite, dépêchez-vous. J’aurai du thé toute la nuit.

Kiriloff n’avait aucune connaissance des projets formés contre Chatoff, il savait seulement que son voisin avait de vieux comptes à régler avec « ces gens-là ». Lui-même s’était trouvé mêlé en partie à cette affaire par suite des instructions qui lui avaient été données à l’étranger (instructions, d’ailleurs très superficielles, car il n’appartenait qu’indirectement à la société), mais depuis quelque temps il avait abandonné toute occupation, à commencer par « l’œuvre commune », et il menait une vie exclusivement contemplative. Quoique Pierre Verkhovensky eût, au cours de la séance, invité Lipoutine à venir avec lui chez Kiriloff pour se