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fut pendant ce temps que Kiriloff reçut la visite de Verkhovensky et de Lipoutine. À la fin, Chatoff s’endormit aussi dans son coin. Il venait à peine de fermer les yeux, quand un gémissement se fit entendre ; Marie s’était éveillée et appelait son époux. Il s’élança vers elle, troublé comme un coupable.

— Marie ! Je m’étais endormi… Ah ! quel vaurien je suis, Marie !

Elle se souleva un peu, promena un regard étonné autour de la chambre, comme si elle n’eût pas reconnu l’endroit où elle se trouvait, et tout à coup la colère, l’indignation s’empara d’elle :

— J’ai occupé votre lit, je tombais de fatigue et je me suis endormie sans le vouloir ; pourquoi ne m’avez-vous pas éveillée ? Comment avez-vous osé croire que j’aie l’intention de vous être à charge ?

— Comment aurais-je pu t’éveiller, Marie ?

— Vous le pouviez ; vous le deviez ! Vous n’avez pas d’autre lit que celui-ci, et je l’ai occupé. Vous ne deviez pas me mettre dans une fausse position. Ou bien, pensez-vous que je sois venue ici pour recevoir vos bienfaits ? Veuillez reprendre votre lit tout de suite, je coucherai dans un coin sur des chaises.

— Marie, il n’y a pas assez de chaises, et, d’ailleurs, je n’ai rien à mettre dessus.

— Eh bien, alors je coucherai par terre tout simplement. Je ne puis pas vous priver de votre lit. Je vais coucher sur le plancher, tout de suite, tout de suite !

Elle se leva, voulut marcher, mais soudain une douleur spasmodique des plus violentes lui ôta toute force, toute résolution ; un gémissement profond sortit de sa poitrine, et elle retomba sur le lit. Chatoff s’approché vivement ; la jeune femme, enfonçant son visage dans l’oreiller, saisit la main de son mari et la serra à lui faire mal. Une minute se passa ainsi.

— Marie, ma chère, s’il le faut, il y a ici un médecin que je connais, le docteur Frenzel… je puis courir chez lui.