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Erkel considérait son interlocuteur avec un calme imperturbable, mais il ne paraissait pas comprendre.

— Verkhovensky s’est enfui, Verkhovensky ! poursuivit Chatoff en grinçant des dents.

— Mais non, il est encore ici, il n’est pas parti. C’est seulement demain qu’il s’en va, observa Erkel d’un ton doux et persuasif. — Je tenais tout particulièrement à ce qu’il se trouvât là comme témoin ; mes instructions l’exigeaient (il parlait avec l’abandon d’un jouvenceau sans expérience). Mais il a refusé, sous prétexte qu’il devait partir, et le fait est qu’il est très pressé de s’en aller.

Le regard de Chatoff se porta de nouveau avec une expression de pitié sur le visage du nigaud, puis soudain il agita le bras comme pour chasser ce sentiment.

— Bien, j’irai, déclara-t-il brusquement, — et maintenant décampez !

— Je passerai donc chez vous à six heures précises, répondit Erkel, qui, après un salut poli, se retira tranquillement.

— Petit imbécile ! ne put s’empêcher de lui crier Chatoff du haut de l’escalier.

— Quoi ? demanda l’enseigne, déjà arrivé en bas.

— Rien, allez-vous-en.

— Je croyais que vous aviez dit quelque chose.

II

Erkel était un « petit imbécile » en ce sens qu’il se laissait influencer par la pensée d’autrui, mais, comme agent subalterne, comme homme d’exécution, il ne manquait pas d’intelligence, ni même d’astuce. Fanatiquement dévoué à « l’œuvre commune », c’est-à- dire, au fond, à Pierre Stépanovitch, il agissait suivant les instructions qu’il avait reçues de celui-ci à la séance où les rôles avaient été distribués aux nôtres