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tiguée !

Chatoff était tout tremblant.

— Tu n’as pas besoin d’aller à l’hôtel, Marie ! Pourquoi ? À quoi bon ? supplia-t-il les mains jointes.

— Eh bien, si l’on peut se passer d’aller à l’hôtel, il faut pourtant expliquer la situation. Vous vous rappelez, Chatoff, que nous avons vécu maritalement ensemble à Genève pendant un peu plus de quinze jours ; voilà trois ans que nous nous sommes séparés, à l’amiable du reste. Mais ne croyez pas que je sois revenue pour recommencer les sottises d’autrefois. Mon seul but est de chercher du travail, et si je me suis rendue directement dans cette ville, c’est parce que cela m’était égal. Ce n’est nullement le repentir qui me ramène auprès de vous, je vous prie de ne pas vous fourrer cette bêtise là dans la tête.

— Oh ! Marie ! C’est inutile, tout à fait inutile ! murmura Chatoff.

Que voulait-il dire par ces mots ?

— Eh bien, puisqu’il en est ainsi, puisque vous êtes assez développé pour comprendre cela, je me permettrai d’ajouter que si maintenant je m’adresse tout d’abord à vous, si je viens vous demander l’hospitalité, c’est en partie parce que je ne vous ai jamais considéré comme un drôle ; loin de là, j’ai toujours pensé que vous valiez peut-être beaucoup mieux qu’un tas de… coquins !…

Ses yeux étincelèrent. Sans doute elle avait eu grandement à se plaindre de certains « coquins ».

— Et veuillez être persuadé qu’en parlant de votre bonté je ne me moque nullement de vous. Je dis les choses carrément, sans y mettre d’éloquence ; d’ailleurs, je ne puis pas souffrir les phrases. Mais tout cela est absurde. Je vous ai toujours supposé assez d’esprit pour ne pas trouver mauvais… Oh ! assez, je n’en puis plus !

Et elle le regarda longuement, d’un air las. Debout à cinq pas d’elle, Chatoff l’avait écoutée timidement, mais il était comme rajeuni, son visage rayonnait d’un éclat inaccoutumé. Cet homme fort, rude, toujours hérissé, sent