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franchement et honnêtement : consentez-vous, oui ou non, à me recevoir chez vous ?

La voix était ferme, coupante ; il la reconnut !

— Marie !… C’est toi ?

— Oui, c’est moi, Marie Chatoff, et je vous assure que je ne puis garder mon cocher une minute de plus.

— Tout de suite… le temps d’allumer une bougie… put à peine articuler Chatoff, qui se hâta de chercher des allumettes. Comme il arrive le plus souvent en pareil cas, il n’en trouva point et laissa choir par terre le chandelier avec la bougie. En bas retentirent de nouveaux cris d’impatience. Il abandonna tout, descendit l’escalier quatre à quatre et courut ouvrir la porte.

— Faites-moi le plaisir de tenir cela un instant, pendant que je réglerai avec cette brute, dit madame Marie Chatoff à son mari en lui tendant un sac à main assez léger ; c’était un de ces articles de peu de valeur qu’on fabrique à Dresde avec de la toile à voiles.

— J’ose vous assurer que vous demandez plus qu’il ne vous est dû, poursuivit-elle avec véhémence en s’adressant au cocher. — Si depuis une heure vous me promenez dans les sales rues d’ici, c’est votre faute, parce que vous ne saviez pas trouver cette sotte rue et cette stupide maison. Prenez vos trente kopeks et soyez sûr que vous n’aurez pas davantage.

— Eh ! madame, tu m’as toi-même indiqué la rue de l’Ascension, tandis que tu voulais aller rue de l’Épiphanie. Le péréoulok de l’Ascension, c’est fort loin d’ici ; cette course-là a éreinté mon cheval.

— Ascension, Épiphanie, — toutes ces sottes dénominations doivent vous être plus familières qu’à moi, vu que vous êtes de la ville. D’ailleurs, vous n’êtes pas juste : j’ai commencé par vous dire de me conduire à la maison Philippoff, et vous m’avez assuré que vous connaissiez cette maison. En tout cas, vous pourrez demain m’appeler devant le juge de paix, mais maintenant je vous prie de me laisser en repos.