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police recherchait en vain depuis si longtemps, avait été trouvé assassiné le matin à sept verstes de la ville, au point de jonction de la grande route avec le chemin conduisant à Zakharino. Avide d’en savoir davantage, Lipoutine sortit immédiatement de chez lui et alla aux informations ; il apprit bientôt que Fedka avait été trouvé avec la tête fracassée, et que tous les indices donnaient à penser qu’on l’avait dévalisé ; d’après les renseignements recueillis par la police, le meurtrier devait être un ouvrier de l’usine Chpigouline, un certain Femka qui avait pris part conjointement avec le galérien à l’incendie de la demeure des Lébiadkine et à l’assassinat de ceux-ci : sans doute une querelle s’était élevée entre les deux scélérats pour le partage du butin… Lipoutine courut au logement de Pierre Stépanovitch et questionna les gens de service ; ils lui dirent que leur maître, rentré chez lui à une heure du matin, avait dormi fort paisiblement jusqu’à huit heures. Certes, rien ne pouvait paraître extraordinaire dans la mort de Fedka, c’était en quelque sorte le dénouement naturel d’une existence de brigand. Mais, la veille, Pierre Stépanovitch avait dit « Fedka a bu de la vodka pour la dernière fois de sa vie » : comment ne pas rapprocher cette parole de l’événement qui l’avait suivie de si près ? Frappé d’une telle coïncidence, Lipoutine n’hésita plus. Rentré chez lui, il poussa du pied son sac de voyage sous son lit, et, le soir, à l’heure fixée, il se trouva le premier à l’endroit où l’on devait se rencontrer avec Chatoff : à la vérité, il avait toujours son passeport dans sa poche…