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— Prenez-là, consentit André Antonovitch, non sans quelque hésitation, il est vrai.

— Vous l’avez montrée à quelqu’un ?

— À personne ; comment donc ?

— Pas même à Julie Mikhaïlovna ?

— Ah ! Dieu m’en préserve ! Et, pour l’amour de Dieu, ne la lui montrez pas non plus ! s’écria Von Lembke effrayé. — Elle serait si agitée… et elle se fâcherait terriblement contre moi.

— Oui, vous seriez le premier à avoir sur les doigts, elle dirait que si l’on vous écrit ainsi, c’est parce que vous l’avez mérité. Nous connaissons la logique des femmes. Allons, adieu. D’ici à trois jours peut-être j’aurai découvert votre correspondant anonyme. Surtout n’oubliez pas de quoi nous sommes convenus !

IV

Pierre Stépanovitch n’était peut-être pas bête, mais Fedka l’avait bien jugé en disant qu’il « se représentait l’homme à sa façon, et qu’ensuite il ne démordait plus de son idée ». Le jeune homme quitta le gouverneur, persuadé qu’il l’avait pleinement mis en repos au moins pour six jours, délai dont il avait absolument besoin. Or il se trompait, et cela parce que dès l’abord il avait décidé une fois pour toutes qu’André Antonovitch était un fieffé nigaud.

Comme tous les martyrs du soupçon, André Antonovitch croyait toujours volontiers dans le premier moment ce qui semblait de nature à fixer ses incertitudes. La nouvelle tournure des choses commença par s’offrir à lui sous un aspect assez agréable, malgré certaines complications qui ne laissaient pas de le préoccuper. Du moins ses anciens doutes s’évanouirent. D’ailleurs, depuis quelques jours il