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tu restes sourd et muet comme une idole stupide, et, semblable à ce pervers tentateur qu’on appelle athée, tu as fait partager tes erreurs à l’enseigne Ertéleff…

— Ah ! quelle caboche d’ivrogne ! Il dépouille les icônes et il prêche sur l’existence de Dieu !

— Vois-tu, Pierre Stépanovitch, c’est vrai que j’ai volé comme tu le dis, mais je me suis contenté de prendre des perles, et puis, qu’en sais-tu ? peut-être en ce moment même mes larmes m’ont obtenu le pardon du Très-Haut pour un péché auquel j’étais poussé par la misère, car je suis un orphelin sans asile. Sais-tu que, jadis, dans les temps anciens, il s’est passé un fait du même genre ? Un marchand fondant en larmes et poussant de gros soupirs déroba une des perles du nimbe qui entourait la tête de la très sainte mère de Dieu ; plus tard il vint s’agenouiller publiquement devant l’image et déposa toute la somme sur le tapis ; alors, à la vue de tout le monde, la sainte Vierge le bénit en le couvrant de son voile. Ce miracle a été consigné dans les archives de l’État par ordre du gouvernement. Mais toi, tu as glissé une souris dans la niche de l’icône, c’est-à-dire que tu t’es moqué du doigt divin lui-même. Et si tu n’étais pas mon barine, si je ne t’avais pas porté dans mes bras autrefois, j’en finirais avec toi tout maintenant, sans sortir d’ici.

Pierre Stépanovitch entra en fureur.

— Parle, as-tu vu aujourd’hui Stavroguine ?

— Ne te permets jamais de me demander cela. M. Stavroguine est on ne peut plus étonné de tes inventions : non seulement il n’a pas organisé la chose et n’y a point contribué pécuniairement, mais il ne désirait même pas qu’elle eût lieu. Tu t’es joué de moi.

— Je vais te donner de l’argent, et, quand tu seras à Pétersbourg, je t’enverrai en une seule fois deux mille roubles, sans parler de ce que tu recevras encore après.

— Tu mens, mon très cher, et cela m’amuse de voir les illusions que tu te fais. M. Stavroguine est vis-à-vis de toi comme sur une échelle du haut de laquelle il te crache