Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/266

Cette page n’a pas encore été corrigée

mort et que vous soyez si peu indifférent… tout cela est fort dangereux. Je me retirerai sur le perron, vous serez libre de supposer que je ne comprends rien et que je suis un homme infiniment au-dessous de vous.

— Non, vous n’êtes pas infiniment au-dessous de moi ; vous avez des moyens, mais il y a beaucoup de choses que vous ne comprenez pas, parce que vous êtes un homme bas.

— Enchanté, enchanté. Je vous ai déjà dit que j’étais bien aise de vous procurer une distraction… dans un pareil moment.

— Vous ne comprenez rien.

— C’est-à-dire que je… en tout cas je vous écoute avec respect.

— Vous ne pouvez rien ; maintenant même vous ne pouvez pas cacher votre mesquine colère, quoiqu’il soit désavantageux pour vous de la laisser voir. Vous allez me fâcher, et je m’accorderai six mois de répit.

Pierre Stépanovitch regarda sa montre.

— Je n’ai jamais rien compris à votre théorie, mais je sais que, ne l’ayant pas inventée pour nous, vous la mettrez en pratique, que nous vous demandions ou non de le faire. Je sais aussi que ce n’est pas vous qui avez absorbé l’idée, mais que c’est l’idée qui vous a absorbé, par conséquent vous ne remettrez pas à plus tard l’exécution de votre dessein.

— Comment ? L’idée m’a absorbé ?

— Oui.

— Et ce n’est pas moi qui ai absorbé l’idée ? C’est bien. Vous avez un petit esprit. Mais vous ne savez que taquiner, et moi, j’ai de l’orgueil.

— Très bien, très bien. C’est précisément ce qu’il faut.

— Assez ; vous avez bu, allez-vous-en.

— Le diable m’emporte, il faut s’en aller, dit Pierre Stépanovitch en se levant à demi. — Pourtant il est encore trop tôt. Écoutez, Kiriloff, trouverai-je cet homme-là chez la bouchère, vous comprenez ? Ou bien est-ce qu’elle a menti ?