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— J’agis en vertu des instructions du comité central, et vous devez obéir.

— Eh bien, j’estime que nos centres organisés à l’étranger ont oublié la réalité russe et rompu tout lien avec la patrie, voilà pourquoi ils ne font qu’extravaguer… Je crois même que les quelques centaines de sections, censément éparpillées sur toute la surface de la Russie, se réduisent en définitive à une seule : la nôtre, et que le prétendu réseau est un mythe, répliqua Lipoutine, suffoqué de colère.

— Votre conduite n’en est que plus vile si vous vous êtes mis au service d’une œuvre à laquelle vous ne croyez pas… maintenant encore, vous courez derrière moi comme un chien couchant.

— Non, je ne cours pas. Nous avons pleinement le droit de nous retirer et de fonder une nouvelle société.

— Imbécile ! fit soudain d’une voix tonnante Pierre Stépanovitch en lançant un regard foudroyant à son interlocuteur.

Pendant quelque temps, tous deux s’arrêtèrent en face l’un de l’autre. Pierre Stépanovitch tourna sur ses talons et se remit en marche avec une assurance imperturbable.

Une idée traversa comme un éclair le cerveau de Lipoutine : « Je vais rebrousser chemin, c’est le moment ou jamais de prendre cette détermination. » Il fit dix pas en songeant à cela, mais, au onzième, une idée nouvelle, désespérée, surgit dans son esprit : il ne revint pas en arrière.

Avant d’arriver à la maison Philippoff, ils prirent un péréoulok ou, pour mieux dire, une étroite ruelle qui longeait le mur de l’immeuble. À l’angle le plus sombre de la clôture, Pierre Stépanovitch détacha une planche : une ouverture se forma, par laquelle il se glissa aussitôt. Cette manière de s’introduire dans la maison étonna Lipoutine, néanmoins il imita l’exemple de son compagnon ; ensuite, ils bouchèrent l’ouverture en remettant la planche à son ancienne place. C’était par cette entrée secrète que Fedka avait pénétré chez Kiriloff.