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de vingt-quatre heures seulement. Il m’est impossible d’obtenir un plus long sursis. Vous n’avez donc rien à craindre jusqu’à après-demain.

Tous gardèrent le silence.

— Il faut l’expédier au diable, à la fin ! cria le premier Tolkatchenko.

— C’est ce qu’on aurait dû faire depuis longtemps ! ajouta avec colère Liamchine en frappant du poing sur la table.

— Mais comment s’y prendre ? murmura Lipoutine.

En réponse à cette question, Pierre Stépanovitch se hâta d’exposer son plan : sous prétexte de prendre livraison de l’imprimerie clandestine qui se trouvait entre les mains de Chatoff, on attirerait ce dernier demain à la tombée de la nuit dans l’endroit solitaire où le matériel typographique était enfoui et — « là on lui ferait son affaire ». Le jeune homme donna tous les éclaircissements nécessaires et renseigna ses auditeurs sur la position équivoque que Chatoff avait prise vis-à-vis de la société centrale. Ces détails étant déjà connus du lecteur, je n’y reviens plus.

— Oui, observa avec hésitation Lipoutine, — mais après ce qui vient de se passer… une nouvelle aventure du même genre donnera l’éveil à l’opinion publique.

— Sans doute, reconnut Pierre Stépanovitch, — mais les mesures sont prises en conséquence. Il y a un moyen d’écarter tout soupçon.

Alors il raconta comme quoi Kiriloff décidé à se brûler la cervelle avait promis de remettre l’exécution de son dessein au moment qui lui serait fixé ; avant de mourir, l’ingénieur devait écrire une lettre qu’on lui dicterait et où il s’avouerait coupable de tout.

— Sa ferme résolution de se donner la mort, — résolution philosophique, mais selon moi insensée, — est arrivée à leur connaissance, poursuivit Pierre Stépanovitch. — on ne laisse rien perdre, tout est utilisé pour l’œuvre commune. Prévoyant la possibilité de mettre à profit le suicide de Kiriloff, et convaincu que son projet est tout à fait sérieux, '