Lipoutine, qu’il avait embauchée comme espionne.)
Chigaleff se leva soudain.
— Puis-je constater un fait ? demanda-t-il.
— Constatez.
Chigaleff se rassit.
— Si j’ai bien compris, et il était impossible de ne pas comprendre, commença-t-il, — vous-même nous avez fait à plusieurs reprises un tableau éloquent, — quoique trop théorique, — de la Russie enserrée dans un filet aux mailles innombrables. Chacune des sections, recrutant des prosélytes et se ramifiant à l’infini, a pour tâche de miner sans cesse par une propagande systématique le prestige de l’autorité locale ; elle doit semer le trouble dans les esprits, mettre le cynisme à la mode, faire naître des scandales, propager la négation de toutes les croyances, éveiller la soif des améliorations, enfin, si besoin est, recourir à l’incendie, comme à un procédé éminemment national, pour qu’au moment voulu le désespoir s’empare des populations. Je me suis efforcé de vous citer textuellement : reconnaissez-vous vos paroles dans cet exposé ? Est-ce bien là le programme d’action que vous nous avez communiqué, comme fondé de pouvoirs d’un comité central, du reste complètement inconnu de nous jusqu’à présent et presque fantastique à nos yeux ?
— C’est exact, seulement vous êtes bien long.
— Chacun a le droit de parler comme il veut. En nous donnant à croire que les mailles du réseau qui couvre la Russie se comptent déjà par centaines, et en nous faisant espérer que si chacun s’acquitte avec succès de sa tâche, toute la Russie à l’époque fixée, lorsque le signal sera donné…
— Ah ! le diable m’emporte, vous nous faites perdre un temps précieux ! interrompit Pierre Stépanovitch en s’agitant sur son fauteuil.
— Soit, j’abrège et je me borne, pour finir, à une question : nous avons déjà vu des scandales, nous avons vu le mécontentement des populations, nous avons assisté à la chute de l’administration provinciale