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s si étrange, prise en dehors des membres, est le fait d’un despotisme qui ne tient aucun compte de nos droits.

— Ainsi vous niez ? Eh bien, moi, j’affirme que c’est vous, vous seuls, qui avez brûlé la ville. Messieurs, ne mentez pas, j’ai des renseignements précis. Par votre indiscipline vous avez mis en danger l’œuvre commune elle-même. Vous n’êtes qu’une des mailles d’un réseau immense, et vous devez obéir aveuglément au centre. Cependant trois d’entre vous, sans avoir reçu les moindres instructions à cet égard, ont poussé les ouvriers de l’usine à mettre le feu, et l’incendie a eu lieu.

— Quels sont ces trois ? Nommez-les !

— Avant-hier, entre trois et quatre heures, vous, Tolkatchenko, vous avez tenu des propos incendiaires à Fomka Zavialoff au Myosotis.

L’homme qui connaissait le peuple bondit d’étonnement :

— Allons donc, je lui ai à peine dit un mot, et encore sans intention, je n’attachais à cela aucune importance ; il avait été fouetté le matin, voilà pourquoi je lui ai parlé ainsi ; du reste, je l’ai quitté tout de suite, il était trop ivre. Si vous ne m’aviez pas rappelé la chose, je ne m’en serais pas souvenu. Ce n’est pas un simple mot qui a pu occasionner l’incendie.

— Vous ressemblez à un homme qui s’étonnerait en voyant une petite étincelle provoquer l’explosion d’une poudrière.

— Fomka et moi, nous étions dans un coin, et je lui ai parlé tout bas dans le tuyau de l’oreille ; comment avez-vous pu savoir ce que je lui ai dit ? s’avisa brusquement de demander Tolkatchenko.

— J’étais là, sous la table. Soyez tranquilles, messieurs, je n’ignore aucune de vos actions. Vous souriez malignement, monsieur Lipoutine ? Mais je sais, par exemple, qu’il y a trois jours, dans votre chambre à coucher, au moment de vous mettre au lit, vous avez arraché les cheveux à votre femme.

Lipoutine resta bouche béante et pâlit.

(On sut plus tard comment ce détail était arrivé à la connaissance de Pierre Stépanovitch : il le tenait d’Agafia, la servante de