Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/245

Cette page n’a pas encore été corrigée

avait mené tout l’intrigue. Il avait été, lui, Pierre Stépanovitch, mystifié par la gouvernante, car lui-même était amoureux de cette malheureuse Lisa, et pourtant on s’y était pris de telle sorte qu’il avait presque conduit la jeune fille chez Stavroguine. « Oui, oui, vous pouvez rire, messieurs », acheva-t-il, « mais si seulement j’avais su, si j’avais su comment cela finirait ! » On l’interrogea avec la plus vive curiosité au sujet de Stavroguine : il répondit carrément que, selon lui, la tragique aventure de Lébiadkine était un pur accident provoqué par l’imprudence de Lébiadkine lui-même, qui avait eu le tort de montrer son argent. Il donna à cet égard des explications très satisfaisantes. Un des auditeurs lui fit observer qu’il avait assez mauvaise grâce à venir maintenant débiner Julie Mikhaïlovna, après avoir mangé et bu, si pas couché, dans sa maison. Mais Pierre Stépanovitch trouva aussitôt une réplique victorieuse :

— Si j’ai mangé et bu chez elle, ce n’est pas parce que j’étais sans argent, et ce n’est pas ma faute si elle m’invitait à dîner. Permettez-moi d’apprécier moi-même dans quelle mesure j’en dois être reconnaissant.

En général, l’impression produite par ces paroles lui fut favorable : « Sans doute ce garçon-là est un écervelé », se disait- on, « mais est-ce qu’il en peut si Julie Mikhaïlovna a fait des sottises ? Au contraire, il a toujours cherché à la retenir… »

Vers deux heures, le bruit se répandit soudain que Stavroguine, dont on parlait tant, était parti à l’improviste pour Pétersbourg par le train de midi. Cette nouvelle fit sensation ; plusieurs froncèrent le sourcil. À ce qu’on raconte, Pierre Stépanovitch fut si consterné qu’il changea de visage ; sa stupeur se traduisit même par une exclamation étrange : « Mais qui donc a pu le laisser partir ? » Il quitta immédiatement la demeure de Gaganoff. Pourtant, on le vit encore dans deux ou trois maisons.

À la chute du jour, il trouva moyen de pénétrer jusqu’à