istesse.
En proie à une sorte d’exaltation délirante, il s’élança vers elle :
— Lise ! Chère, chère, se peut-il aussi que ce soit vous… au milieu d’un pareil brouillard ? Voyez : les lueurs de l’incendie rougissent le ciel ! Vous êtes malheureuse, n’est-ce pas ? Je le vois, je le vois, ne me racontez rien, mais ne m’interrogez pas non plus. Nous sommes tous malheureux, mais il faut les pardonner tous. Pardonnons, Lise, et nous serons libres à jamais. Pour en finir avec le monde et devenir pleinement libre, — il faut pardonner, pardonner et pardonner !
— Mais pourquoi vous mettez-vous à genoux ?
— Parce qu’en prenant congé du monde je veux dire adieu, dans votre personne, à tout mon passé ! — Il fondit en larmes, et prenant les deux mains de la jeune fille, il les posa sur ses yeux humides : — Je m’agenouille devant tout ce qu’il y a eu de beau dans mon existence, je l’embrasse et je le remercie ! Maintenant mon être est brisé en deux : — là, c’est un insensé qui a rêvé d’escalader le ciel, vingt-deux ans ! Ici, c’est un vieillard tué, glacé, précepteur… chez un marchand, s’il existe pourtant, ce marchand… Mais comme vous êtes trempée, Lise ! s’écria-t- il, et il se releva soudain, sentant que l’humidité du sol se communiquait à ses genoux, — et comment se fait-il que je vous rencontre ainsi vêtue… à pied, dans cette plaine ?… Vous pleurez ? Vous êtes malheureuse ? Bah ! j’ai entendu parler de quelque chose… Mais d’où venez-vous donc maintenant ? demanda-t- il d’un air inquiet ; en même temps il regardait avec une profonde surprise Maurice Nikolaïévitch ; — mais savez-vous l’heure qu’il est ?
— Stépan Trophimovitch, avez-vous entendu parler là-bas de gens assassinés ?… C’est vrai ? C’est vrai ?
— Ces gens ! Toute la nuit j’ai vu l’incendie allumé par eux. Ils ne pouvaient pas finir autrement… (ses yeux étincelèrent de nouveau). Je m’arrache à un songe enfanté par la fièvre chaude, je cours à la recherche de la Russie, existe-t-elle, la Russie ? Bah ! c’est vous, cher capitaine ! Je n’ai jamais douté que je vous rencontrerais dans l’accomplissement de