obscurcissant tout le paysage et noyant tous les objets dans une même teinte plombée qui ne permettait pas de les distinguer les uns des autres. Quoiqu’il fît jour depuis longtemps, il semblait que l’aube n’eût point encore paru. Et, soudain, de ce froid brouillard se détacha une figure étrange, falote, qui marchait à la rencontre des deux jeunes gens. Quand je me représente maintenant cette scène, je pense que je n’en aurais pas cru mes yeux si j’avais été à la place d’Élisabeth Nikolaïevna ; pourtant elle poussa un cri de joie et reconnut tout de suite l’homme qui s’avançait vers elle. C’était Stépan Trophimovitch. Par quel hasard se trouvait-il là ? Comment sa folle idée de fuite avait-elle pu se réaliser ? — on le verra plus loin. Je noterai seulement que, ce matin là, il avait déjà la fièvre, mais la maladie n’était pas un obstacle pour lui : il foulait d’un pas ferme le sol humide ; évidemment il avait combiné son entreprise du mieux qu’il avait pu, dans son isolement et avec toute son inexpérience d’homme de cabinet. Il était en « tenue de voyage », c’est-à-dire qu’il portait un manteau à manches, une large ceinture de cuir verni serrée autour de ses reins par une boucle, et de grandes bottes neuves dans lesquelles il avait fait rentrer son pantalon. Sans doute depuis fort longtemps déjà il s’était imaginé ainsi le type du voyageur ; la ceinture et les grandes bottes à la hussarde, qui gênaient considérablement sa marche, il avait dû se les procurer plusieurs jours à l’avance. Un chapeau à larges bords et une écharpe en poil de chameau enroulée autour du cou complétaient le costume de Stépan Trophimovitch. Il tenait dans sa main droite une canne et un parapluie ouvert, dans sa main gauche un sac de voyage fort petit, mais plein comme un oeuf. Ces trois objets, — la canne, le parapluie et le sac de voyage, étaient devenus, au bout d’une verste, très fatigants à porter.
À la joie irréfléchie du premier moment avait succédé chez Lisa un étonnement pénible.
— Est-il possible que ce soit bien vous ? s’écria-t-elle en considérant le vieillard avec tr