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— Ah ! qu’il ne me voie point ! cria tout à coup Lisa comme affolée ; — allons-nous-en, allons-nous-en ! Dans le bois, dans la plaine !

Et elle rebroussa chemin en courant.

— Pierre Stépanovitch s’élança à sa poursuite.

— Élisabeth Nikolaïevna, quelle pusillanimité ! Et pourquoi ne voulez-vous pas qu’il vous voie ? Au contraire, regardez-le en face, carrément, fièrement… Si vous êtes honteuse parce que vous avez perdu votre… virginité… c’est un préjugé si arriéré… Mais où allez-vous donc, où allez-vous donc ? Eh ! comme elle trotte ! Retournons plutôt chez Stavroguine, nous monterons dans mon drojki… Mais où allez-vous donc ? Par là ce sont les champs, allons, la voilà qui tombe !…

Il s’arrêta. Lisa volait comme un oiseau, sans savoir où elle allait ; déjà une distance de cinquante pas la séparait de Pierre Stépanovitch, quand elle choppa contre un petit monceau de terre et tomba. Au même instant un cri terrible retentit derrière elle. Ce cri avait été poussé par Maurice Nikolaïévitch qui, ayant vu la jeune fille s’enfuir à toutes jambes, puis tomber, courait après elle à travers champs. Aussitôt Pierre Stépanovitch battit en retraite vers la maison de Stavroguine pour monter au plus vite dans son drojki.

Mais Maurice Nikolaïévitch fort effrayé se trouvait déjà près de Lisa qui venait de se relever ; il s’était penché sur elle et lui avait pris la main, qu’il tenait dans les siennes. Cette rencontre se produisant dans des conditions si invraisemblables avait ébranlé la raison du capitaine d’artillerie, et des larmes coulaient sur ses joues. Il voyait celle qu’il aimait d’un amour si respectueux courir comme une folle à travers champs, à une pareille heure, par un temps pareil, n’ayant d’autre vêtement que sa robe, cette superbe robe de la veille, maintenant fripée et couverte de boue… Sans proférer un mot, car il n’en aurait pas eu la force, il ôta son manteau et le posa en tremblant sur les épaules de Lisa. Tout à coup un cri lui échappa : il avait senti sur sa main les lèvres de la jeune fille.