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hurla-t-il, l’écume aux lèvres ; sa fureur était telle qu’il pouvait à peine parler.

Debout au milieu de la salle, Nicolas Vsévolodovitch ne répondit pas un mot. Il avait pris dans sa main gauche une touffe de ses cheveux et souriait d’un air égaré. Pierre Stépanovitch le tira violemment par la manche.

— Vous vous dérobez, n’est-ce pas ? Ainsi voilà ce que vous avez en vue ? Vous dénoncerez tout le monde, après quoi vous entrerez dans un monastère ou vous irez au diable… Mais je saurai bien vous escoffier tout de même, quoique vous ne me craigniez pas !

À la fin, Stavroguine remarqua la présence de Pierre Stépanovitch.

— Ah ! c’est vous qui faites ce bruit ? observa-t-il, et, la mémoire lui revenant soudain, il ajouta : — Courez, courez donc ! Reconduisez-la jusque chez elle, que personne ne sache… et qu’elle n’aille pas là-bas… voir les corps… les corps… Mettez-la de force en voiture… Alexis Egoritch ! Alexis Egoritch !

— Attendez, ne criez pas ! À présent elle est déjà dans les bras de Maurice… Maurice ne montera pas dans votre voiture… Attendez donc ! Il s’agit bien de voiture en ce moment !

Il sortit de nouveau son revolver de sa poche ; Stavroguine le regarda sérieusement.

— Eh bien, tuez-moi ! dit-il à voix basse et d’un ton résigné.

— Ah ! diable, de quel mensonge un homme peut charger sa conscience ! reprit vivement Pierre Stépanovitch. — Vous voulez qu’on vous tue, n’est-ce pas ? Elle aurait dû, vraiment, vous cracher au visage !… Vous, un « navire » ! Vous n’êtes qu’une vieille barque trouée, bonne à débiter comme bois de chauffage… Allons, que du moins la colère vous réveille ! E-eh ! Cela devrait vous être égal, puisque vous-même demandez qu’on vous loge une balle dans le front ?

Stavroguine eut un sourire étrange.

— Si vous n’étiez pas un bouffon, peut-être qu’à présent