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— Maurice Nikolaïévitch ? C’est vrai ?

— C’est l’exacte vérité. Il est devant la grille du jardin. À trois cents pas d’ici, si je ne me trompe. J’ai passé à côté de lui aussi rapidement que possible, mais il m’a vu. Vous ne le saviez pas ? En ce cas je suis bien aise d’avoir pensé à vous le dire. Tenez, celui-là est plus à craindre que personne, s’il a un revolver sur lui, et enfin la nuit, le mauvais temps, une irritation bien légitime, — car le voilà dans une drôle de situation, ha, ha ! Qu’est-ce qu’il fait là selon vous ?

— Il attend Élisabeth Nikolaïevna, naturellement.

— Bah ! Mais pourquoi irait-elle le retrouver ? Et… par une telle pluie… voilà un imbécile !

— Elle va le rejoindre tout de suite.

— Vraiment ! Voilà une nouvelle ! Ainsi… Mais écoutez, à présent la position d’Élisabeth Nikolaïevna est changée du tout au tout : que lui importe maintenant Maurice Nikolaïévitch ? Rendu libre par le veuvage, vous pouvez l’épouser dès demain, n’est-ce pas ? Elle ne le sait pas encore, — laissez-moi faire, et dans un instant j’aurai tout arrangé. Où est-elle ? Ce qu’elle va être contente en apprenant cela !

— Contente ?

— Je crois bien, allons lui porter la nouvelle.

— Et vous pensez que ces cadavres n’éveilleront chez elle aucun soupçon ? demanda Nicolas Vsévolodovitch avec un singulier clignement d’yeux.

— Non, certes, ils n’en éveilleront pas, répondit plaisamment Pierre Stépanovitch, — car au point de vue juridique… Eh ! quelle idée ! Et quand même elle se douterait de quelque chose ! Les femmes glissent si facilement là-dessus, vous ne connaissez pas encore les femmes ! D’abord, maintenant c’est tout profit pour elle de vous épouser, attendue qu’elle s’est perdue de réputation ; ensuite, je lui ai parlé du « navire » et j’ai remarqué qu’elle y mordait, voilà de quel calibre est cette demoiselle. N’ayez pas peur, elle enjambera ces petits cadavres avec aisance et facilité, d’autant plus que vous êtes tout à fait, tout à fait innocent, n’est-ce pas ? Seulement elle