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ne durent pas plus d’une minute, je me suis décidée tout de suite. Eh bien, voilà tout, ces explications suffisent, n’est-ce pas ? Je vous en prie, restons-en là ; autrement, qui sait ? nous nous fâcherions encore. N’ayez peur de personne, je prends tout sur moi. Je suis mauvaise, capricieuse, j’ai été séduite par un navire d’opéra, je suis une demoiselle… Et, vous savez, je croyais toujours que vous m’aimiez éperdument. Toute sotte que je suis, ne me méprisez pas et ne riez pas de cette petite larme que j’ai laissée couler tout à l’heure. J’aime énormément à pleurer, je m’apitoie volontiers sur moi. Allons, assez, assez. Je ne suis capable de rien, ni vous non plus ; chacun de nous a son pied de nez, que ce soit notre consolation. Au moins l’amour-propre est sauf.

— C’est un mensonge et un délire ! s’écria Nicolas Vsévolodovitch qui marchait à grands pas dans la chambre en se tordant les mains. — Lisa, pauvre Lisa, qu’as-tu fait ?

— Je me suis brûlée à la chandelle, rien de plus. Tiens, on dirait que vous pleurez aussi ? Soyez plus convenable, moins sensible…

— Pourquoi, pourquoi es-tu venue chez moi ?

— Mais ne comprendrez-vous pas enfin dans quelle situation comique vous vous placez aux yeux du monde par de pareilles questions ?

— Pourquoi t’es-tu si monstrueusement, si bêtement perdue ? Que faire maintenant ?

— Et c’est là Stavroguine, le « buveur de sang Stavroguine », comme vous appelle une dame d’ici qui est amoureuse de vous ! Écoutez, je vous l’ai déjà dit : j’ai mis ma vie dans une heure et je suis tranquille. Faites de même… ou plutôt, non, pour vous c’est inutile ; vous aurez encore tant d’ »heures » et de « moments » divers…

— Autant que toi ; je t’en donne ma parole d’honneur la plus sacrée, pas une heure de plus que toi !

Il continuait à se promener dans la chambre sans voir les regards pénétrants que Lisa attachait sur lui. Dans