Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/22

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans de pareilles affaires. Mais si, par exemple, je révélais ces ceux noms à Julie Mikhaïlovna, elle se mettrait tout de suite à battre la grosse caisse… Elle veut esbroufer la capitale. Non, elle est trop ardente, voilà !

— Oui, il y a en elle un peu de cette fougue… murmura non sans satisfaction André Antonovitch, mais en même temps il trouvait de fort mauvais goût la liberté avec laquelle ce malappris s’exprimait sur le compte de Julie Mikhaïlovna. Cependant Pierre Stépanovitch jugea sans doute qu’il n’en avait pas encore dit assez, et qu’il devait insister davantage sur ce point pour achever la conquête de Lembke.

— Oui, comme vous le dites, elle a trop de fougue, reprit-il ; — qu’elle soit une femme de génie, une femme littéraire, c’est possible, mais elle effraye les moineaux. Elle ne pourrait attendre, je ne dis pas six jours, mais six heures. E-eh ! André Antonovitch, gardez-vous d’imposer à une femme un délai de six jours ! Voyons, vous me reconnaissez quelque expérience, du moins dans ces affaires-là ; je sais certaines choses, et vous-même n’ignorez pas que je puis les savoir. Si je vous demande six jours, ce n’est point par caprice, mais parce que la circonstance l’exige.

— J’ai ouï dire… commença avec hésitation le gouverneur, — j’ai ouï dire qu’à votre retour de l’étranger vous aviez témoigné à qui de droit… comme un regret de vos agissements passés ?

— Eh bien ?

— Naturellement, je n’ai pas la prétention de m’immiscer… mais il m’a toujours semblé qu’ici vous parliez dans un tout autre style, par exemple, sur la religion chrétienne, sur les institutions sociales, et, enfin, sur le gouvernement…

— Eh ! j’ai dit bien des choses ! Je suis toujours dans les mêmes idées, seulement je désapprouve la manière dont ces imbéciles les appliquent, voilà tout. Cela a-t-il le sens commun de mordre les gens à l’épaule ? Réserve faite de la question d’opportunité, vous avez reconnu vous-même que j’étais dans le vrai.