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ir, — tel est mon idéal, vous le savez ; déjà en Suisse, je vous ai révélé mon caractère. Comme vous êtes marié, il nous est impossible d’aller à Moscou et d’y faire des visites ; inutile, par conséquent, de parler de cela.

— Lisa, qu’est-ce qu’il y a donc eu hier ?

— Il y a eu ce qu’il y a eu.

— Cela ne se peut pas ! C’est cruel !

— Qu’importe ? Si c’est cruel, supportez-le.

— Vous vous vengez sur moi de votre fantaisie d’hier… grommela Nicolas Vsévolodovitch avec un méchant sourire. La jeune fille rougit.

— Quelle basse pensée !

— Alors, pourquoi donc m’avez-vous donné… « tant de bonheur » ? Ai-je le droit de le savoir ?

— Non, interrogez-moi sans demander si vous en avez le droit ; n’ajoutez pas une sottise à la bassesse de votre supposition. Vous n’êtes guère bien inspiré aujourd’hui. À propos, ne craignez-vous pas aussi l’opinion publique, et n’êtes-vous pas troublé par la pensée que ce « bonheur » vous attirera une condamnation ? Oh ! s’il en est ainsi, pour l’amour de Dieu, bannissez toute inquiétude. Vous n’êtes ici coupable de rien et n’avez de comptes à rendre à personne. Quand j’ai ouvert votre porte hier, vous ne saviez pas même qui allait entrer. Il n’y a eu là qu’une fantaisie de ma part, comme vous le disiez tout à l’heure, — rien de plus. Vous pouvez hardiment lever les yeux et regarder tout le monde en face !

— Tes paroles, cet enjouement factice qui dure déjà depuis une heure, me glacent d’épouvante. Ce « bonheur » dont tu parles avec tant d’irritation, me coûte… tout. Est-ce que je puis maintenant te perdre ? Je le jure, je t’aimais moins hier. Pourquoi donc m’ôtes-tu tout aujourd’hui ? Sais-tu ce qu’elle m’a coûté, cette nouvelle espérance ? Je l’ai payée d’une vie.

— De la vôtre ou d’une autre ?

Il tressaillit.