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été réduits en cendres, et dès lors il eût été fort difficile de découvrir la vérité.

Tels furent les renseignements qu’on me donna. J’appris aussi que M. Stavroguine était venu lui-même louer ce logement pour le capitaine et sa soeur. Le propriétaire ne voulait pas d’abord entendre parler de location, parce qu’il songeait à faire de sa maison un cabaret ; mais Nicolas Vsévolodovitch n’avait pas regardé au prix, et il avait payé six mois d’avance.

— Ce n’est pas par hasard que le feu a pris, entendait-on dans la foule.

Mais la plupart restaient silencieux, et les visages étaient plutôt sombres qu’irrités. Cependant autour de moi on continuait à s’entretenir de Nicolas Vsévolodovitch : la femme tuée était son épouse ; la veille il avait attiré chez lui « dans des vues déshonnêtes » une jeune personne appartenant à la plus haute société, la fille de la générale Drozdoff ; on allait porter plainte contre lui à Pétersbourg ; si sa femme avait été assassinée, c’était évidemment pour qu’il pût épouser mademoiselle Drozdoff. Comme Skvorechniki n’était qu’à deux verstes et demie de là, je pensai un instant à aller y porter la nouvelle. À dire vrai, je ne vis personne exciter la foule, quoique j’eusse reconnu parmi les individus présents deux ou trois figures patibulaires rencontrées au buffet. Je dois seulement signaler un jeune homme dont l’attitude me frappa. Grand, maigre, anémique, il avait des cheveux crépus, et une épaisse couche de suie couvrait son visage. C’était, ainsi que je le sus plus tard, un bourgeois exerçant la profession de serrurier. Quoiqu’il ne fût pas ivre, son agitation contrastait avec la tranquillité morne de ceux qui l’entouraient. Il s’adressait sans cesse au peuple en faisant de grands gestes, mais tout ce que je pouvais saisir de ses paroles se réduisait à des phrases comme ceci : « Mes amis, qu’est-ce que c’est ? Est-il possible que cela se passe ainsi ? »