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bombe éclata soudain au milieu de la cohue, « encore comme tantôt » :

— Au feu ! Tout le Zariétchié[28] brûle !

Je ne saurais dire si ce cri fut tout d’abord poussé dans les salons, ou si quelque nouvel arrivant le jeta de l’antichambre ; quoi qu’il en soit, il produisit aussitôt une panique dont ma plume est impuissante à donner une idée. Plus de la moitié des personnes venues au bal habitaient le Zariétchié, soit comme propriétaires, soit comme locataires des maisons de bois qui abondent dans ce quartier. Courir aux fenêtres, écarter les rideaux, arracher les stores, fut l’affaire d’un instant. Tout le Zariétchié était en flammes. À la vérité, l’incendie venait seulement de commencer, mais on le voyait sévir dans trois endroits parfaitement distincts, et c’était là une circonstance alarmante.

— Le feu a été mis volontairement ! Ce sont les ouvriers des Chpigouline qui ont fait le coup ! vociférait-on dans la foule.

Je me rappelle quelques exclamations très caractéristiques :

— Mon cœur me l’avait dit, qu’on mettrait le feu ; tous ces jours-ci j’en avais le pressentiment !

— Ce sont les ouvriers de Chpigouline, il n’y a pas à chercher les coupables ailleurs.

— On nous a réunis ici exprès pour pouvoir allumer l’incendie là- bas !

Cette dernière parole, la plus étrange de toutes, fut proférée par une femme, une Korobotchka sans doute, qu’affolait la perspective de sa ruine. Le public tout entier s’élança vers la porte. Je ne décrirai pas l’encombrement de l’antichambre pendant que les hommes prenaient leurs paletots, les dames leurs mantilles et leurs mouchoirs ; je passerai également sous silence les cris des femmes effrayées, les larmes des jeunes filles. Longtemps après on a raconté en ville que plusieurs vols avaient été commis dans cette occ