Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 2.djvu/206

Cette page n’a pas encore été corrigée

La facétie de Liamchine obtint un grand succès de rire ; à coup sûr le public se souciait fort peu de l’allégorie, mais il trouvait drôle ce monsieur en habit noir qui marchait sur les mains. Lembke frémit de colère.

— Le vaurien ! cria-t-il en montrant Liamchine, — qu’on empoigne ce garnement, qu’on le remette… qu’on le remette sur ses pieds… la tête… la tête en haut… en haut !

Liamchine reprit instantanément sa position normale. L’hilarité redoubla.

— Qu’on expulse tous les garnements qui rient ! ordonna brusquement Lembke.

Des murmures commencèrent à se faire entendre.

— Cela n’est pas permis, Excellence.

— Il n’est pas permis d’insulter le public.

— Lui-même est un imbécile ! fit une voix dans un coin de la salle.

— Flibustiers ! cria-t-on d’un autre coin.

Le gouverneur se tourna aussitôt vers l’endroit d’où ce cri était parti, et il devint tout pâle. Un vague sourire se montra sur ses lèvres, comme s’il s’était soudain rappelé quelque chose.

Julie Mikhaïlovna se mit en devoir de l’emmener.

— Messieurs, dit-elle en s’adressant à la foule qui se pressait vers elle et son mari, — messieurs, excusez André Antonovitch. André Antonovitch est souffrant… excusez… pardonnez-lui, messieurs !

J’ai entendu le mot « pardonnez » sortir de sa bouche. La scène ne dura que quelques instants. Mais je me souviens très bien qu’en ce moment même, c’est-à-dire après les paroles de Julie Mikhaïlovna, une partie du public, en proie à une sorte d’épouvante, gagna précipitamment la porte. Je me rappelle même qu’une femme cria avec des larmes dans la voix :

— Ah ! encore comme tantôt !

Elle ne croyait pas si bien dire ; de fait, alors qu’on se bousculait déjà pour sortir au plus vite, une